jeudi 16 avril 2009

Des nouvelles récentes du Château (3)

- III -



Tartuffe est actuellement un homme de gauche et a des convictions politiques et humanistes de gauche. C’est un bureaucrate, un universitaire ou un diplômé des grandes écoles qui a vécu mai 68 et subi les années 80, la fin des utopies, de sa jeunesse et l’apparition du Sida. Il est père de famille divorcé, aimerait retrouver ses 20 ans, ses idéaux, court le jupon, est un barbot. En 2008, il a fêté l’anniversaire des manifestations au Quartier Latin et à la Sorbonne, de la grève générale et de la fuite du Général de Gaulle à Baden-Baden, et a ainsi pensé faire la nique à Sarkozy, son nouveau président, censé représenter les valeurs de droite qu’il déteste. Autour de lui, ses valets sont jeunes et le méprisent, comme ses enfants le méprisent, parce qu’il n’assume pas le rôle d’autorité qui incombe à ses fonctions et à son foyer. Ses valets les plus jeunes sont les plus mal lotis, les plus vieux sont devenus retors avec lui, à l’image de ses enfants.

Ses jeunes valets sont les derniers rentrés dans son association, sa société ou son ONG, et les premiers qui seront licenciés. Ils sont intellos précaires par choix ou par nécessité, ont souvent les mêmes idéaux que Tartuffe, parce que la crise des années 80 n’en a pas généré de nouveaux, sont consciencieux et appliqués, croient œuvrer pour la jeunesse, la culture, l’éducation ou l’intégration, cumulent les avenants à CDD ou le CDI bientôt cassé et n’ont pas conscience du problème éthique qui se pose, dans le contexte professionnel qui est le leur et dont Tartuffe est l’instigateur, ou ils ferment les yeux et ils se taisent. Ils travaillent dans l’intégration, l’éducation ou la culture, cherchent à promouvoir l’autonomie d’élèves ou de stagiaires adultes, favorisent la transmission d’une œuvre culturelle, d’un fait social ou d’un événement historique et ne sont pas eux-mêmes autonomes ; ils oeuvrent contre le chômage quand ils sont eux-mêmes chômeurs, pour l’intégration alors qu’ils sont quasi en rupture de ban, dans l’éducation tandis que l’ascenseur social ne fonctionne plus pour eux et qu’ils ignorent ce qu’ils vont devenir le mois suivant. Pour Tartuffe, ils acceptent de générer un simulacre social et des leitmotive, pavent l’enfer de bonnes intentions pour un idéal de civilisation que leur vieux maître a vécu dans sa jeunesse et qui est à jamais perdu. Et le politique paye Tartuffe pour cela, pour conserver l’illusion d’un sens social et de gauche au moyen de coquilles vides et de dispositifs-échos.

Si le roi tolérait Tartuffe jadis, si l’Etat et les collectivités lui payent une obole aujourd’hui, c’est pour obtenir que les mots de charité comme de social demeurent ce qu’ils ont toujours été : des leitmotive générés par des coquilles vides et des dispositifs-échos.

Le rôle du politique n’est pas de servir la société, mais de lui donner l’illusion de l’aider, faire que le chien de paille garde le sentiment d’être heureux, bon an, mal an, et tous les réseaux mis en place hors des murs des services publics depuis trente ans, tous les dispositifs en marge de ceux-ci et qui produisent des festivals, des ateliers sociaux, des militants pour telle ou telle cause jugée d’utilité publique et qui sont considérés comme étant des professionnels du bien ou du beau, sont gérés par des Tartuffes, hommes et femmes qui ont l’âge de la retraite et attendent leurs annuités. Et le valet, aujourd’hui, ne peut plus ignorer qu’ils sont la dernière voiture, la dernière rame issue du papy-boom ; et, après eux, rien, nada, le néant, après eux, c’est la misère, le ghetto, le déluge : Dieu reconnaîtra les siens.

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