jeudi 18 septembre 2008

Logique de l'indigence -1-



Vous n’avez pas le choix. Les règles du jeu ont été déterminées bien avant vous et vous ne pouvez pas faire autrement que de les accepter ; il en va de votre survie.

Vous ne pouvez pas nous dire non, vous ne pouvez pas nous dire oui. Votre opinion quant à ce que vous êtes ou n’êtes pas ne nous concerne pas. Vous pouvez malgré tout l’exprimer sur Blogger, vous pouvez l’écrire, et, si vous avez un peu de chance ou de talent, vous trouverez un éditeur qui vous publiera.

Vous êtes nos esclaves, mais, en dépit de votre condition, nous vous avons laissé la liberté d’expression, comme une bannière ou un fanion, un acquis social emporté de haute lutte. Vous pouvez donc publier que vous êtes nos esclaves, ni vous, ni Blogger, ni votre éditeur ou l’imprimeur ne seront poursuivis après cela.

Dites maintenant : « Je suis un esclave ! », et dites-le fort ! Les gens de votre espèce ont actuellement un lectorat ; vos lecteurs sont même de plus en plus nombreux. Ils compatissent à votre situation, la partagent peut-être, et admettent avec vous vos idées de révolte. Vous êtes de plus en plus nombreux à être lus, parce que vous êtes de plus en plus nombreux à être des esclaves, à le constater, à écrire que vous l’êtes, et à clamer que vous n’avez plus que la langue et la pensée en propre. Vous êtes le produit d’une politique économique désastreuse et d’un niveau socioculturel en chute libre, vous êtes légions : des millions à être les rejetons de l’atomisation sociale, à l’écrire et à le publier parfois. Et, parce que vous êtes légions, personne ne vous lit vraiment et, même si vous publiez, on vous consulte, on examine d’un œil distrait ce que vous produisez, mais on ne vous lit pas sérieusement.

Parce que :


Vous êtes l’indice d’un bruit entropique.

Vous participez d’un concert dont vous n’entendez rien, mais dont vous êtes, malgré tout, un instrument. Cette situation nouvelle dans le circuit de la communication vous laisse angoissé. Vous vous dites : « Suis-je vraiment libre de m’exprimer ? Ma liberté d’expression n’est-elle pas tronquée ? Est-ce que je n’appartiens pas, moi aussi, à un réseau idéologique ? Si oui, si mes réseaux de communication sont tronqués, je ne suis qu’un esclave, entièrement et intégralement : un esclave auquel on donne l’illusion de penser. »



Vous croyez pourtant que vous pourrez vous en sortir, vous vous figurez que c’est un problème de langue et de réseaux, et vous pensez que vous n’avez pas la bonne langue et pas le bon réseau. Vous travaillez alors, vous travaillez dur pour obtenir une nouvelle langue et un nouveau réseau. Mais, malgré tous vos efforts et votre bonne volonté, vous savez que cela ne sert à rien, que les dés sont désormais pipés et qu’il faudrait vous arrêter.
Mais vous en êtes incapables.

C’est mieux, c’est mieux ainsi. Votre échec social servira peut-être de contre-exemple à nos enfants.





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Rappel des notions abordées dans le texte diffusé Logique de l’indigence :

- Sur un blog comme en littérature, vous êtes l’indice d’un bruit entropique.
- Votre échec social servira peut-être de contre-exemple à nos enfants.
- Vous êtes probablement le nouveau Rimbaud.
- La littérature d’avant-garde participe aujourd’hui de cette logique d’indigence.

Des appartements se vident...

Des appartements se vident comme panses trouées.
Nous avions cru être des géants,
et, sans raison, la nuit a substitué nos corps.
Vides maintenant, comme nos esprits,
et nous courons plus vite pour les vider mieux.

Nous nous cachons des maîtres qui détiennent nos murs.
Nous nous terrons, communauté taisible, à l’ombre de leur traîne,
inventant un langage double pour tromper le flair de leurs limiers,
changeant de boîte aux lettres,
changeant les XXXX d’une identité à l’origine idoine.
Nous apprenons à courir par la parole,
à survivre en donnant les noms de nos anciennes peaux.

Elle dit, Je ne t’aime plus.
Elle dit, Tu es toqué.
Elle dit, J’ai besoin d’un homme responsable.
Elle dit, J’ai mon horloge biologique.
Elle veut tout ce que je fuis,
tout ce que l’homme qui me laisse les clés de son appartement
fuit aussi.

Elle dit, Mon corps est ma maison,
je suis le propriétaire de mon corps,
et mes enfants seront propriétaires, eux aussi ;
elle croit en ce qu’elle dit.

Il dit, Au Viêt-Nam, les femmes te mangent dans la main,
je planterai de la sauge.
Toi, tu seras ma boîte aux lettres en France, quelques mois,
puis tu courras, comme elles,
pour survivre.
Il dit, L’amour se trouve dans des corps affamés,
il n’y a pas d’autre loi.
Il croit en ce qu’il dit…

Il croit en ce qu’il dit, il croit en ce qu’il dit
et moi, je ne crois plus en rien.
Je cours,
je cours,
et les mots se vident derrière moi.
Ne pouvant plus m’arrêter,
je ne peux les retenir.

Cela n’est pas de la survie,
mais la sous-vie.