vendredi 21 septembre 2007

LE BLOG DU SOUTERRAIN (1)

Je suis une merde infecte, une fiente, le pire con que la terre ait mis au monde. Borgne, bigle, bossu, boiteux et bougre, voilà tout ce que je suis. Je crois que j'ai quelque chose à l'intestin. Je pense que c'est l'intestin, mais je n'en suis pas sûr et je ne veux pas savoir. Qu'est-ce que les fèces pourraient bien penser en matière d'intestin ? Je respecte trop la médecine et les docteurs pour les gêner en leur exposant mon cas, fèces, intestin, reins, continuez, circulez, courez, poursuivez vous-même. Ils pourraient m'aider, me dire quoi faire pendant que leur patientèle s'étiole en salle d'attente.

A
T
T
E
N
D
E
Z-Là.

J'arrive de suite.

(Imaginez un médecin philanthrope, le docteur Pascal de Zola - Don de double-vision (les binocles) Juste à temps pour la panacée universelle !) Voilà le flacon !
  1. J
  2. u
  3. s
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  6. le
  7. temps
  8. de
  9. des
  10. cendre l'
  11. es
  12. ca
  13. beau.

Et moi guéri, la respiration embryonnaire ayant fait son effet sur la natte, immortel ! Con et immortel, comme une branche morte, à peine plus !

GUÉRI !
Merde !

Et tout à vau-l'eau, recommençant la vie, épuisant ses forces à ne PAS vouloir vieillir, mourir ou pourrir !

Il y a longtemps que je vis sans me soigner, un peu plus de vingt ans, et maintenant j'en ai quarante. Longtemps que je m'égosille seul, isolé dans mon coin. Avant, j'ai été fonctionnaire, maintenant je ne le suis plus. J'étais tordu comme fonctionnaire : le plus salop raté tordu trou du cul des fonctionnaires. J'étais un fonctionnaire méchant, j'étais grossier, c'était une jouissance. Car j'étais honnête, vous comprenez, il me fallait des compensations. Un cafard honnête dans un bureau épluchant des dossiers, une véritable merde (tout cela n'a aucun intérêt à être dit, seulement une pulsion créative, un barbouillage avec ses excréments, a - l - o - r - s - ç - a - s - ' - é - t - a - l - e

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Parfois, l'on venait jusqu'à moi, MOI, comme vous faites ici, devant mon guichet, pour un renseignement, un papier, je ne sais trop quoi, lecture d'un article, formulaire à remplir, découvrir quelque chose de nouveau sous le soleil, Je Ne Sais Trop Quoi, venant à moi, comme vous faites en ce moment, et
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et ça prend le temps qu'il faut et, plus ça les emmerde là, plus ça voit rouge, là, ça s'étale de nouveau sous le soleil devant ou derrière le guichet, ils voient rouge, mais ils ont honte, parce que la merde que je suis les tient par le cul, qu'elle se communique comme un ver. Il y en avait surtout un, dans mon cordon, un gendarme qui refusait absolument de se plier à mes exigences, me tançant chaque fois, me menaçant même de blâme, procès, amendes, chaque fois, toutes les fois qu'il - R E S P I R E - reprends - tout le tintoin toutes les fois qu'il me voyait. Le gendarme ne voulait absolument pas faire la queue, il pensait que le cordon n'était pas pour lui. Pendant six mois, devant mon guichet, nous nous sommes faits la guerre, et je l'ai eu. Mais bon, ça, c'était quand j'étais jeune. Mais le pire de l'affaire, le noeud, le fond du pot au rose avec l'œil au bout, voyez, le plus infect de l'histoire, c'est que je sentais malgré moi que je n'étais pas une merde, un raté tordu aigri, et que je passais mon temps à faire peur à des enfants rangés dans la file, tournant dans un manège, le cordon, tenant le fil pour la queue jusqu'à mon guichet, jouant avec eux et aimant cela. J'étais rouge, suffoquant devant eux, j'écumais des ordres pour me faire entendre, mais il aurait suffit que l'un d'entre eux m'apporte une petite voiture, une poupée ou une tasse de thé en plastique de la dînette, et je me serais mis à jouer sur le tourniquet. L'émotion m'aurait coupé le sifflet quelques instants - après, sans doute, je m'en serais voulu d'avoir baissé la garde, rage rentrée, honteux contre moi-même au souvenir des petites voitures que j'aurais fait rouler, et j'aurais eu des insomnies pendant des mois à cause d'une histoire qui a duré cinq minutes. Je suis comme ça.

J'ai menti plus haut en disant que j'étais une merde.

PLUS HAUT...



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CHUTE CHUTE CHUTE CHUTE CHUTE CHUTE CHUTE CHUTE TE TE TE TE TE TE





Eh bien, en fait, tout cela n'était qu'un jeu. Tout, sans exception : mes clients dans le corridon, des mirmidons de récréation, le même nez, les mêmes oreilles que moi, basculant la tête de gauche à droite, à la cantine, pour faire lever les surveillants. Et moi, derrière le guichet, je jouais comme eux, avec le caca dans la rue qu'on ramène à la maison et la flaque de lait sur la moquette. Malheureusement, je n'ai jamais su devenir une merde. Seulement la tête, de gauche à droite, à la cantine, et le cloc-cloc-li-li-li-li, le claquement de langue. Je ressentais même, au fond du fond, dans ce tréfonds-cordon, les mouvements gastriques après le sein maternel, relents et rot plus forts et plus importants que le pot, hostiles à toute situation merdique, oui, oubliant tout, puis lâchant tout, sans pudeur. Heureux au fond. Alors, je me retenais, je retenais ma merde en moi jusqu'à en rougir, à m'en rendre malade. Je m'empêchais de chier, emmagasinant mes excréments, forçant mon esprit sur ce seul point, derrière le rectum. Mais, jamais je n'ai su devenir cette merde concentrée, introspectée, l'archétype de la merde sur laquelle je méditais pourtant. Et je n'ai pas d'excuse, et je ne m'excuse en rien.

Non seulement je n'ai pas su devenir une merde, mais je n'ai rien su devenir du tout : ni une merde ni un homme, ni bon ni mauvais, fade ou tiède, rien du tout. Et, maintenant que j'achève ma vie dans mon trou, je me moque de moi et je me dis que le destin est ainsi fait et qu'il n'y a que les imbéciles à réussir aujourd'hui. Un homme intelligent du XXI° siècle se doit d'être une créature sans retenue, pétant, courant, baisant, baffrant la vie, bouffant à tous les râteliers, Surlarron, Surmarionnette et Surmâle. Un homme pour qui la merde est la merde, et non pas une vue de l'esprit. C'est là une conviction vieille de quarante ans. Maintenant j'ai quarante ans, et quarante ans, c'est toute la vie, cela montre un terme, ça signifie qu'on a mordu son frein et qu'on s'est économisé, qu'on a serré les fesses plutôt que de jouir, qu'on n'a rien tenté de peur de la douleur, de la prison, de l'amour ou la mort. Alors, on attend voilà.



C'est ainsi. C'est la vie. La vie est ainsi faite. Ainsi soit-il. Amen. Mektoub. Kismet. C'est comme ça. Ça fait une expérience. C'est le destin, le mauvais œil, le fatum, l'eau de boudin, la crise, la faute à pas de chance. On est mal né, mal luné, bâtard ou trop tard venu. On a raté son époque, on aurait dû venir plus tôt ou plus tard, c'était pas l'heure. On s'est trompé. Les enfants ne devraient pas venir au monde. Les affaires sont les affaires. On ne peut pas tout avoir. On ne se refait pas. On fait ce qu'on peut. On fait son temps. On va son bonhomme de chemin. On tue le temps, on se tue à la tâche, on tâche de pas s'en faire, on fait son trou, on jette sa gourme, on se fait une raison, on encourage les beaux-arts, on est le fils de ses œuvres, on mange à tous les râteliers, on évoque le bon vieux temps, on ne prête qu'aux riches, On... fait des cérémonies, des salamalecs, de son mieux, contre mauvaise fortune bon cœur, la pluie et le beau temps, la charité, l'amour, un bout de toilette, comme chez nous, On... fait la part des choses et d'une pierre deux coups, joue avec le feu, est original, a des espérances, des lettres, de l'assurance, des envies, n'est pas né d'hier, vit sa vie, ne meurt pas deux fois, On... n'a plus vingt ans, l'âge de nos enfants, la vie devant soi, l'envie de plaire, On...

vendredi 14 septembre 2007

samedi 8 septembre 2007

Film




Béatrice n’est plus libre d’échapper au réseau des signes qui l’enserrent. Quoi qu’elle fasse, où qu’elle se trouve, un mot de sa part, l’empreinte de son pied sur le sol, son paraphe sur un ordre ou sur un dossier, son image enregistrée par une caméra de surveillance, sa façon de marcher, l’expression de son visage, les couleurs qu’elle porte ces jours-ci, les prétextes qu’elle se donne en choisissant un chocolat plutôt qu’un café, le sourire qu’elle lance en voiture à un enfant dans la rue, l’argent qu’elle cherche pour des cigarettes, l’arrêt brutal de sa marche dans un escalier, le souffle, le souffle coupé, elle ne résiste plus, elle n’est plus capable de riposter à la façon dont hommes et femmes la dévisagent, aux idées conçues ou préconçues à son sujet, tout est su, tout se sait maintenant sur elle, mais plus rien n’étonne, elle ne surprend personne, son intimité même, pour peu qu’un passant la déshabille du regard, telle nudité sous les vêtements, cette neutralité du corps, quand vestes, robes ou pantalons ne dissimulent plus, quand rien ne sourd à moins de dévier de la ligne d’écriture fixée des livres, à se faire inattendue, la vie, la vie qui surgit impromptue, faisant mentir le portrait commencé du peintre, le pli cerné d’un comportement singulier, ce qui fait corps, révèle une présence, le C’est elle.

– C’est elle.

- C’est elle.

- C’est elle.

- C’est elle.

Elle est là, impuissante à faire mentir les mots posés sur la page, ce que l’on appelle quelquefois l’âme et que certains d’entre nous sollicitent encore : elle, son intérieur, son intérieur, elle.

Elle se rappelle avoir cassé les cloisons du salon, quand elle et son mari ont acheté la maison dans la rue de Montchapet. Elle et son mari voulaient, à l’époque, une large salle de séjour ouverte sur le jardin encerclé du lierre bleu et le soleil vert, de larges portes-fenêtres irradiant le soleil vert, faisant mentir la mort, une baie de rayons irradiant un mobilier devenu inexistant : poufs et tables basses, un bar et une télévision circulant sur des roulettes, aucun repère manifeste de lumière ou d’ombre pour l’œil, et des cloisons transparentes, des paravents à plier ou déplier alentours, cassant les angles et brisant les perspectives.

Leurs amis viennent alors sans un signe jusqu’à nous, puisqu’il n’y a plus de frontière entre eux et nous maintenant, que la vie ne meurt plus. On dit, La vie ne meurt plus, mais elle s’active et s’affole.

Ils s’agenouillent, voyez, sur de profonds tapis près de la table basse sous les hauts plafonds, et sirotent leurs verres et leurs mots, comme écho à un tableau californien de David Hockney. Oui, et le sourire de Bouddha aussi, comme résumé des épreuves du monde pour touristes pressés, dernière vanité accordée au vivant, et le zap. à la main faisant passer le visage des convives comme une mosaïque désaccordée.

mercredi 5 septembre 2007

PARANO ?
PARANO ?
PARANO ?
PARANO ?
PARANO ?
PARANO ?
PARANO ?

"Au jardin des délices"




février 2007, paris, "au jardin des délices"
beignet de crevette incendiaire ou canard laqué flambeur, SICLI veille.

(Si j'écorche le nom...)
Photo de Charles Garan

mardi 4 septembre 2007

Oui, P., parle-moi de ta chair, de la bouillie de tes viscères, de la "transparence" de ton sac avec un cerveau au bout.

Non, P., je ne suis pas "authentique", je ne suis pas "sincère", je ne suis pas "transparent", je ne parle pas de ma "nature", et j'ai des machines aussi, et je suis complètement artificiel. J'ai des instruments, tout le temps sur moi, des plans, des systèmes, des croyances aussi, des a priori, inévitablement. De la mauvaise foi, surtout.

Par contre, une différence, peut-être : je n'ai pas peur de mourir et je suis assez faible pour aimer ton sang. Alors, si tu veux sortir le couteau, aucun problème, je ne broncherai pas. Aucun de nous deux ne pleurera. Je n'ai qu'une vie et je suis prêt à tout pour un accès de sang, le grand saut après adrénaline. Alors, viens, profite. Tu n'auras pas deux propositions pareilles.

JE SUIS A BOUT