samedi 8 septembre 2007

Film




Béatrice n’est plus libre d’échapper au réseau des signes qui l’enserrent. Quoi qu’elle fasse, où qu’elle se trouve, un mot de sa part, l’empreinte de son pied sur le sol, son paraphe sur un ordre ou sur un dossier, son image enregistrée par une caméra de surveillance, sa façon de marcher, l’expression de son visage, les couleurs qu’elle porte ces jours-ci, les prétextes qu’elle se donne en choisissant un chocolat plutôt qu’un café, le sourire qu’elle lance en voiture à un enfant dans la rue, l’argent qu’elle cherche pour des cigarettes, l’arrêt brutal de sa marche dans un escalier, le souffle, le souffle coupé, elle ne résiste plus, elle n’est plus capable de riposter à la façon dont hommes et femmes la dévisagent, aux idées conçues ou préconçues à son sujet, tout est su, tout se sait maintenant sur elle, mais plus rien n’étonne, elle ne surprend personne, son intimité même, pour peu qu’un passant la déshabille du regard, telle nudité sous les vêtements, cette neutralité du corps, quand vestes, robes ou pantalons ne dissimulent plus, quand rien ne sourd à moins de dévier de la ligne d’écriture fixée des livres, à se faire inattendue, la vie, la vie qui surgit impromptue, faisant mentir le portrait commencé du peintre, le pli cerné d’un comportement singulier, ce qui fait corps, révèle une présence, le C’est elle.

– C’est elle.

- C’est elle.

- C’est elle.

- C’est elle.

Elle est là, impuissante à faire mentir les mots posés sur la page, ce que l’on appelle quelquefois l’âme et que certains d’entre nous sollicitent encore : elle, son intérieur, son intérieur, elle.

Elle se rappelle avoir cassé les cloisons du salon, quand elle et son mari ont acheté la maison dans la rue de Montchapet. Elle et son mari voulaient, à l’époque, une large salle de séjour ouverte sur le jardin encerclé du lierre bleu et le soleil vert, de larges portes-fenêtres irradiant le soleil vert, faisant mentir la mort, une baie de rayons irradiant un mobilier devenu inexistant : poufs et tables basses, un bar et une télévision circulant sur des roulettes, aucun repère manifeste de lumière ou d’ombre pour l’œil, et des cloisons transparentes, des paravents à plier ou déplier alentours, cassant les angles et brisant les perspectives.

Leurs amis viennent alors sans un signe jusqu’à nous, puisqu’il n’y a plus de frontière entre eux et nous maintenant, que la vie ne meurt plus. On dit, La vie ne meurt plus, mais elle s’active et s’affole.

Ils s’agenouillent, voyez, sur de profonds tapis près de la table basse sous les hauts plafonds, et sirotent leurs verres et leurs mots, comme écho à un tableau californien de David Hockney. Oui, et le sourire de Bouddha aussi, comme résumé des épreuves du monde pour touristes pressés, dernière vanité accordée au vivant, et le zap. à la main faisant passer le visage des convives comme une mosaïque désaccordée.

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