vendredi 26 juin 2009

Des nouvelles récentes du Château (XIII)

- XIII –




A propos du Krach, K. pense qu’il y a une différence entre la "sphère réelle" et la "bulle boursière". Certes, il se représente la "sphère" comme une figure géométrique et la "bulle" comme un volume pouvant exister concrètement dans le monde, mais il n’est pas frappé par le fait que, pour des économistes, une figure géométrique puisse être réelle et qu’une bulle ait des accointances avec le domaine de la spéculation financière ; son esprit ne va pas jusque là. Ou, s’il remarque le paradoxe, il ne s’en étonne pas et imagine que les hommes, qui ont choisi les mots « sphère » et « bulle », ne cherchaient pas à employer des mots justes, mais pertinents. Et qu’y a-t-il de plus pertinent qu’une "sphère réelle" et une "bulle boursière" ? Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas de poésie mais de mots touchant une réalité dure et brutale, une réalité qui risque de le toucher, lui et quelques autres, s’il ne choisit pas, dès maintenant, le bon chemin. pour lui. Il y a donc un « mur », une "distance", des "gardes fous" entre le monde des hommes et le domaine de la spéculation financière, et, si ce « mur » s’est écroulé avec le krach, cela n’est pas dû au fait que les discours des économistes étaient illusoires, mais au destin. Ni lui, ni aucun homme ne pouvaient empêcher qu’un tel système se disloque, c’était couru d’avance. Aucune façon de remédier à une telle catastrophe, l’idée même d’avoir à changer de système lui paraît, encore aujourd'hui, aberrante.


Selon K., il fallait que ce soit ce système et il fallait que ce système nous emmène à la catastrophe. Quel autre modèle aurait-il pu avoir ? Quel autre aurait-il pu espérer ? Le communisme ? (K. se met ici à rire) Mais le communisme lui même a prouvé qu’il était un échec et, si les mots et les discours qui le portaient étaient convaincants, la chute du mur de Berlin était, quant à elle, bien réelle. Par leur vie même, les dirigeants soviétiques ont prouvé que seules la cupidité et l’avarice gouvernaient le monde. Chacun de nous rêve d’argent, et, derrière chaque communiste, aussi sincère qu’il soit, un bourgeois sommeille.


Nous sommes hélas tous coupable, affirme alors K., ennuyé d'avoir eu à formuler un tel aveu ; nous avons tous, dès notre naissance, le même mal qui nous ronge, nous aimons l’argent. Dans ces conditions, que pouvions-nous espérer ? Nous avons tous les mêmes aspirations, chacun de nous court vers les mêmes buts. Il aurait été naïf de penser que nous aurions pu être épargnés. Et, même si nous avions échappé à une telle tragédie, si les hommes avaient réussi à s’organiser pour parvenir à une société plus juste, combien de temps aurions-nous eu avant que la cupidité d’un seul n’emportât notre joli château de cartes ? Il en aurait fallu un seul, une goutte d’eau, pour que tout retombât et que nous dussions reconstruire ce que nous avions bâti. Le krach n’est donc pas une fiction imposée aux masses ni une image poétique, conclut-il. Il est impossible que des hommes puissent inventer une telle machination pour s’enrichir davantage. Nous ne pouvons pas envisager un tel cynisme, et cela, malgré les leçons de l’Histoire. C’est la fatalité, la fatalité seule, qui est responsable de notre sort.

mercredi 17 juin 2009

Des nouvelles récentes du Château (XII)

XII -



Actuellement, les masses découvrent chaque jour un peu plus que l’Argent-roi n’était qu’un rêve pour lequel elles n’ont jamais eu de part. Elles prennent conscience qu’elles étaient K. tout ce temps : elles pensaient, comme lui, avoir droit à un morceau d’un quelconque bonheur commun ; peut-être même pensaient-elles avoir eu une rétribution en espèce un moment, une seconde, alors qu’elles n’avaient jamais cessé de justifier l’inadmissible de leur condition. Contrairement à K., chaque individu pris isolément a de ces instants de lucidité devant lesquels l’ensemble de ses illusions se révèle, jusqu’à ce que le ronge le regret et qu’il s’en remette à son destin. Ainsi, chaque individu pris isolément se découvre juge partial et bourreau de sa propre condition, tandis que la domination qu’exerce sur lui le Château n’est plus tenable, que le procès que le Château intente contre lui est injuste et horrible, et que tout court à sa perte. Mais comment pourrait-on supporter d’être K. ? Comment la conscience pourrait-elle supporter si longtemps d’être K. ?
« Non, tel examen de conscience est insupportable, se dit K comme quiconque pris dans la masse, personne n’est dans un troupeau, personne n’est mené à l’abattoir, ce serait absurde, se dit K comme quiconque pris dans la masse. Si les lois que nous impose le Château nous semblent injustes, c’est que nous n’avons pas une vue d’ensemble des problèmes, nous ne sommes pas au bon endroit pour avoir une représentation claire des difficultés ; nous n’en saisissons que des détails. C’est pourquoi l’argent demeure un mystère pour nous, mais les raisons pour lesquelles l’argent, ce que nous osons à peine nommer un dieu, se met en colère, les raisons, pour lesquelles Il nous sacrifiera peut-être, sont justes. Comment pourrait-on supporter de mourir sans intelligence avec notre Maître ? Comment pourrait-on supporter de mourir sans raison, sans même avoir été le complice de son meurtrier ? Cela serait mourir deux fois, à notre avis et nous ne voudrions pas mourir deux fois, nous ne saurions pas mourir deux fois. »


... Puis le sarcasme.

Puis le rire jaune du sarcasme.

... Puis l’abandon à…


-- Alors que ni K. ni aucun d’entre nous ne croit plus en dieu ni au diable, alors que nous avions pensé régler les questions métaphysiques et religieuses dans la première moitié du vingtième siècle avec la séparation de l’église et de l’état et le courant de la libre-pensée, il faut pourtant encore plier le genou et se soumettre au énième Tohu-bohu. Il faut que les peuples donnent à des hommes qui ont tout, mais dont personne ne connaît l’image (puisqu’elle est cachée par ceux-là mêmes dont on croit encore qu’ils nous gouvernent), donc offrir à des dieux davantage de pouvoir encore, afin que leur colère, leur folie ou, peut-être, leur inconscience de ce que nous sommes, retombe et qu’ils nous épargnent.


" Non, se dit K comme tel ou tel matricule pris dans la masse, il est impossible que nous soyons les jouets d’une religion primitive et barbare, il est impossible que ce soit nous les barbares. Comment pourrions-nous accepter cela pour nous-mêmes ? Comment pourrions-nous accepter d'être cela ? Mais de quel dieu sommes-nous les fidèles? Quel dieu est assez puissant pour que nous puissions croire en lui sans que nous en ayons conscience ? Non, vraiment, jamais Gnose n’avait été aussi peu révélée , puisque même ses disciples oublient le culte qu'ils pratiquent tous les jours !"